dimanche 12 octobre 2014

Interview : David McNeil


Assis sur un banc, sous la pluie entraîné par une jolie femme nue sous sa blouse me voici dans La Cave Saravah, autrefois fréquentée par Fontaine et Higelin. Posant "Les années saravah" de David McNeil, sur la platine vinyle, j'y entend "Maxie Madge et parfois Dicky Wagner". Fasciné, fonçant vers les disquaires des puces, je croise Quelques voyous yougoslaves, les yeux maquillés, probablement ceux de son deuxième album, mais passe en passant les épaves droit vers Gibert & Joseph. Sous le pont Saint Michel un Bateau-mouche glisse vers la pointe de l’île de la cité, à son bord, un couple enlacé.

Quelques heures de plus et la nuit tombe sur paris. Je vais sur abebooks.com et mon achat arrivé, j'effeuillette "Tangages et Roulis" (2006), suivant David de la dernière tournée imbibée avec Robert Charlebois à sa cure de désintoxication alcoolique d'ou il visite aussi la fille du bar d'en face, bientôt rejoint par Renard ou Renaud, c'est selon, qui expose aux pensionnaires sa technique toute personnelle pour ne pas devenir accro : "Lundi alcool, mardi cocaïne, mercredi haschich, jeudi amphétamines, vendredi héroïne, samedi ecstasy et dimanche LSD. Noël et jours de fête quartier libre, morphine, éther, mescaline, tout ce que vous voudrez, avec ce régime, pas d’accoutumance..."

158 pages plus tard, je m'aligne dans les "Quelques pas d'un ange" (2003) ou David parle de Marc Chagall, son père, et des bleus monochromes qu'il peint, petit, au fond de ses grands tableaux.
Puis de ces premiers bleus à celui de la couverture de "Quatre mots, trois dessins et quelques chansons" (2013) - son autobiographie articulée de chansons - il m'amène jusqu'à Hollywood avec Yves Montand ou jusqu'à la Rage de vivre de Mezz Mezzrow. De là, l'oreille alléchée par Mélissa, la métisse d'Ibiza, paroles David McNeil, je commence à entrevoir, un peu plus loin, la syntaxe éclatée d'un autre proche, Souchon, avant de découvrir Lady Pannonica, la lady des jazzmen au prénom de papillon qui va presque nue, 5e avenue, parmi les pianos et les violons.

Ailleurs, en 1999, David se pose en écrit/parlé la question de "La dernière phrase" : celle qu'un homme tente de parfaire, en haut débit ; la seule et unique phrase que l'on devra prononcer devant ce Cher Notre Père pour éviter l'Enfer.

Vêtu d'un pull over irlandais et d'un corsaire gris en faux serpent python, s'avance maintenant "Angie ou les douzes mesures d'un blues" (2007), mon livre préféré, ou McNeil tombe amoureux de la belle majestueuse - et ou cela les mènera t'ils ? - lors d'une ballade sixties à l'arrière de la limousine blanche de Memphis Slim. Angie, you can't say we never tried...

Hors de cette sélection, des travaux de Mr McNeil, on trouvera également plusieurs courts métrages dont "What Happened to Eva Braun?" (1971) et "Les aventures de Bernadette Soubirou" (1973), une compilation de ces albums introuvables "Les années RCA - Intégrale 1978-1982" et au moins quatre autres livres (si je ne compte pas ceux qu'il a écrit pour les enfants)... mais laissons la parole à David McNeil, "C'est si rare de pouvoir parler aux auteurs alors aujourd'hui j'en profite un peu".


1. Votre 1er souvenir musical ?
Le roulement de tambour d’une publicité vantant les mérites d’une brillantine en 195O, j’ai quatre ans. Elle illustrait le jingle de la marque : Brosse, peigne et Vitapointe, ra, ra, ratatata. Ça
m’a tellement marqué, qu’encore aujourd’hui je met des roulements de caisses claires un peu partout dans ma vie comme dans mes disques.


2. Le meilleur disque que l’on vous ait offert ? Le pire ?
Le meilleur, « Birth of de Blue » de Miles Davis, le pire, un des miens, trouvé par un copain au puces moins d’un mois après sa sortie. Sinon les chants de la Wehrmacht sortis en vinyle par les éditions qu’à l’époque, dirigeait Le Pen.


3. Le 1er livre que vous ayez perdu  ?
Je n’ai jamais perdu de livres, ils me sont trop précieux, mais on m’en a beaucoup volé, dont l’édition originale des « Liaisons dangereuses » et « J’irai cracher sur vos tombes » de Boris Vian.


4. Est ce que les souvenirs récurrents qui traversent vos livres peuvent être vus comme les thèmes musicaux d'une partition plus vaste, ou sont ils plutôt un art des variantes, comme celui que pratiquait les trouvères et les troubadours, adaptant leur repertoire au gré des chatelains rencontrés ?
Je pense que tous les artistes, qu’ils soient musiciens ou peintres tournent souvent autour d’eux même et de leur rapport avec la vie, l’amour et la mort, comme disait Freud et aussi ma boulangère, mais ce qui ressort chez tous ces gens, de Lascaux à Basquiat, c’est le « moi profond », qui ressort, et que parfois nous cachons sous le vernis fragile d’une fausse insou-ciance.


5. Jean-Luc Godard  a dit que «Tout ce dont vous avez besoin pour faire un film, c'est d'une fille et d'un flingue.».  Et vous qu’avez-vous besoin pour faire un livre ?
De l’envie d’écrire. Ça peut me prendre n’importe quand et n’importe où, j’écris même sans savoir où je vais, alors j’écris, j’écris, l’idée vient en marche et je jette les pages "d’amorce" pour avancer, bonne ou mauvaise, vers cette idée.


6. “Maxie madge et parfois Dicky Wagner”, pouvez vous nous parler de cette chanson, de son contexte, de comment elle est apparue... ?
Europe 1 m’avait demandé un conte de Noël, alors j’ai imaginé l’histoire de ce saxophoniste jouant sous la neige, entièrement recouvert de flocons, puis m’est venu l’image de cette fille de l’Armée du Salut, comme on voit chanter dans les rues de New York en Décembre, la suite s’en enchaînée logiquement.


7. Quelle a été la rencontre capitale de votre vie ?
Mezz Mezzrow, clarinettiste de Jazz et auteur d’un livre, « La rage de vivre », qui m’a tenu éloigné des poisons en poudre, et que je recommande fortement, une nouvelle édition vient de sortir chez Buchet-Chastel.


8. La plus belle adaptation en français d’une chanson anglophone ?
« Against the Wind » de Bob Seger, adaptée pour Sylvie Vartan par votre serviteur (1).


9. Quelques souvenirs de Donovan ?
Je vivais à Londres dans une immense maison qu’il avait louée pour tous ses copains. Un soir que je portais une chemise en tissu crétois que ma mère avait cousue pour moi, il me l’a demandée pour aller chanter en ville un soir, le salopard partait en tournée pour trois mois, je ne l’ai jamais revue.


10. Le morceau méconnu que tout le monde devrait connaître ?
Tout un album : « Such sweet thunder », de Duke Ellington, hommage à Shakespeare, si je ne dois choisir qu’un seul titre, le thème de « Puck », personnage du « Songe d’une nuit d’été ».


11. Le disque dont vous avez peur ?
Mon prochain.


12. Est-ce que « Le vrai est ce qu’il peut » (2) ? 
Place de Fürstenberg
       On attache son cheval
       Peut-être au réverbère
       Où s’en pendu Nerval...
Sans doute parce qu’il avait compris qu’en fait c’est l’homme qui fait ce qu’il peut pour trouver le «vrai».


13. Pouvez vous nous parler des titres que vous avez travaillé avec Jean Claude Vannier (3) ?
J’ai eu beaucoup de mal à travailler avec Vannier. Il est caractériel et m’a pourri la vie pendant deux mois. Et en plus je n’ai gardé qu’un titre arrangé par lui, les autres titres étaient sans intérêt. C’est «Gitane». J’ai refait tout le reste.


14. A quoi ressemblera la musique dans 50 ans ? dans 5000 ans ? 
La musique qu’on jouera dans cinquante ans est sans doute jouée déjà quelque part, Eric Satie avait cinquante ans d’avance sur son temps, Sun Ra et Steve Lacy aussi, on découvre aujourd’hui leur travail datant des années soixante. Dans cinq mille ans on rejouera certainement la musique qu’on jouait il y a cinquante mille ans, en tapant sur des troncs d’arbres évidés.


15. le livre que vous n’aimeriez pas être ? 
Celui qu’on jette sans même l’avoir terminé.


16. L’album idéal pour écrire ?
Un big band dirigé par Frank Zappa, avec Armstrong, Miles et Dizzy aux trompettes, Teagarden et Juan Tizol aux trombones, aux sax Coltrane, Parker et Mulligan, Monk à la basse, Baby Dodds, à la batterie, Billy Holliday et Ray Charles aux vocaux, Charlie Christian et Django aux guitare, jouant des compositions d’Ellington, partageant le piano avec Mozart, lyrics d’Ira Guerswin, tout ça enregistré à Abbey road par Phil Spector !


17. « Imaginez que vous vous réveillez demain, et la musique n’existe plus. Il n’y a plus aucun instrument, aucun enregistrement sur terre. » Que feriez vous ?
On fait, comme je l’ai dit, comme il y a cinquante mille ans, on réinvente tout !


18. Le film qui vous donne envie d’écrire ?  
La plus part des films qu’on voit à la télé, j’ai bien envie de leur écrire de vrais scénarios...


19. Avez vous déjà eu des hallucinations auditives ? 
Pas d’hallucinations, ni d’acouphènes, J’ai rêvé que je jouais avec Bob Dylan.


20. Comment aimeriez vous mourir ? 
Entraîné dans la mer par le chant des Sirènes.





(1) sous le titre "Cheveux au vent"
(2) Gérard de Nerval, Les nuits d’octobre
(3) l'arrangeur du Melody Nelson de Serge Gainsbourg

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