vendredi 21 juin 2013

Interview : Nick Kent


Je regarde mon mobile : 17h30. Pile. Je suis à la librairie Parallèles et j'attends en regardant les livres sur les étals. J'écoute aussi un peu les conversations des autres personnes venues pour la dédicace de Apathy For The Devil, le nouveau livre de Nick Kent. Deux personnes à coté de moi : "Ah t'étais au Trabendo pour les Stones ! Et alors c'était comment ? - Ils sont arrivés, ils sont montés sur scène sans se parler... je crois que ça fait longtemps qu'ils ne se parlent plus Mick et Keith... et ils ont joué - y'avait pleins de pains partout, comme dans tous leurs derniers concerts - et pas grand chose d'autre. Mais j'étais heureux de les voir...". Puis Nick Kent arrive, s'installe à la petite table que l'on a dressé pour lui, une nappe blanche en papier et une petite pile de livres, et il commence à discuter avec tout le monde, en français, en anglais, souriant.

Une brève introduction : Nick Kent a côtoyé Lester Bangs, a été un des piliers du New Musical Express, a traîné avec les Stones et Led Zeppelin en tournée au début 70, avec Malcom McLaren peu après, a fait partie d'une formation pré-Sex Pistols et est toujours fasciné par le Paradis Perdu de John Milton.
Il a écrit deux livres traduits en français, le premier est : L'Envers du rock préface d'Iggy Pop, et présentation par lui même : "Un beau jour, je me suis frotté à des zozos du genre Syd Barrett, et j'ai réalisé que si ces gens-là avaient bien obtenu ce qu'ils désiraient, ce n'était surtout pas de cela (l'adulation des foules, le "décollage" créatif) dont ils avaient besoin pour préserver leur équilibre mental. Dès lors tout a pris un sens. Et j'ai vite réalisé qu'entre toutes, ces histoires-là valaient d'être contées. Fouiller les recoins obscurs et crépusculaires des icônes du rock, voilà l'objectif de The Dark Stuff."

Et son deuxième, une autobiographie des années 1970 : Apathy For The Devil, sous titrée "les seventies, voyage au cœur des ténèbres".
"Pas de cravates, pas de Gomina pour faire ressortir un front de jeune mâle. D'ailleurs les Rolling Stones n'ont pas de front. Juste des cheveux, de grosses lèvres et une aura collective d'insolence dévastatrice.
Ils entrent nonchalamment sur scène et jettent un regard méprisant au public en empoignant leurs instruments. Le présentateur se dépêche de les annoncer, mais ses mots sont couverts par des hurlements. Puis ils commencent à jouer. Peut être "Not Fade Away", la chanson de Buddy Holly qu'ils sortiront une semaine plus tard et qui leur vaudra leur première entrée dans le Top Ten et la confirmation de leur ascension vers le statut de princes rebelles de la jeunesse."

De son premier livre, je me rappelle ses descriptions de Brian Wilson, reclus dans une sorte de cabane de jardin installée sur la pelouse de sa villa mangeant une salade arrosée de sel, ou l'air un peu benêt de Dizzy des Guns N'Roses ou l'attitude toute en tension d'un Jerry Lee Lewis plus tout jeune mais qui gardera toujours son couteau papillon, dans une poche intérieure, jamais loin du cœur.

Dans son dernier livre, au travers de portraits incisifs, il raconte ses années 70 - ses 20 à 30 ans - passées entre Iggy Pop, ses histoires avec Keith Richards ou Peter Grant, ses rencontres avec Bowie ou Eno, les New York Dolls, l'ascension et l'autodestruction des Sex Pistols, les combines de Malcom McLaren, les soirées avec Richard Hell ou Martin Hannett, ses histoires de dope et comment il s'en sort pas tout à fait indemne...

Dans la petite librairie, je me glisse dans la file d'attente vers la petite table blanche. Nick Kent est en face de moi - sa phrase "Il fût un temps ou je n'étais qu'un figurant de la nuit des morts élégants" me revient en tête. Ce soir de novembre, c'est son sourire et sa conversation affable qui sont les marques de sa vraie élégance.


(vous trouverez les questions et les réponses traduites en français par Laurence Romance après la photo de Nick Kent avec Keith Richards et Mick Jagger)

1. Your first musical memories?
Hearing my father playing his Debussy records when I was a baby

2. The best record you received as a present? / The worse one?
Best ? With The Beatles, which an aunt bought me when I was 11. Worst ? Too many to mention.

3. The first book that you lost?
I honestly can’t remember.

4. «"I'm a poet," I tell him. "A poet?" he asks. "What's your name?" "Dylan Thomas," I say. »
And you Nick, what is your name? (1)
Nicholas Benedict Kent – for better or worse.

5. Who changed your life?
My parents, T.S. Eliot, James Joyce, Nik Cohn, the Rolling Stones, the Stooges and many others.

6. Youth culture was at the heart of the 60s, is youth culture still relevant today ?
Hard for me to say as I’m 61 years old. But my 20-year old son James seems to be soaking up and contributing to the current state of ‘youth culture’ so something good must be still going on.

7. What will music sound like in 50 years / 5000 years?
I dread to think.

8. After swapping the crown of King of Punk for the trophies of King of Advert, has Iggy Pop become more punk than ever before?  
No. But he’s made himself a lot richer.

9. You demanded from Lester Bangs to tell you how to write. What advice did he give you and what advice can you give us?
That losers were/are more interesting subjects than winners.

10. The record that freaks you out?
As in “scares me”? Randy Newman’s “In Germany Before the War

11. Shortly after you moved to Paris in 1989, you got involved in the French house/techno/rave scene which was taking off at the time, even going as far as to record and release a couple of tracks with your girlfriend Laurence and Italian & English DJ's (2). What are your best memories of those days: the sex, the drugs, the music ?
The late 80's-early 90's acid house scene in Paris was great -one of the most enjoyable musical movements-scenes I've been exposed to. It was like psychedelic London in 1967 with clubs like the U.F.O. and Middle Earth, but with the pre-recorded synthesizer music and MDMA instead of actual live groups and hallucinogenics. Laurence and I even made some recordings in that acid-house style, two of which actually ended up on compilations at the time. The best years were inevitably the early ones before 'techno' and bad drugs started polluting the once blissed-out atmosphere.

12. The film that tickles your creativity?
Sam Peckinpah’s The Wild Bunch certainly influenced my approach to story-telling in literature. It’s action-packed but the character interaction runs deep, as does the film’s basic philosophy.

13. Are Pissed Jeans (the band from Sub Pop) creating something new?
Never heard of them.

14. The little-known track that everyone should have heard of?
Holy River” by Space Opera (1973)

15. An album you wouldn’t want to be?
Lou Reed’s Berlin, Clash’s Sandinista and anything by Sham 69.

16. You have written at length about the 70s, stated that you had no interest in the 80s but that you would enjoy writing about the 90s. Which band(s) in particular were you thinking about when you made this comment?
Jeff Buckley, Bjork, Beck, Kurt Cobain, Rufus Wainwright and Radiohead were all major talents that could have stood out in the 60’s, 70’s and 80’s as well, had they been born earlier.

17. “Imagine waking up tomorrow morning and all music has disappeared. All musical instruments and all forms of recorded music, gone. A world without music.”. What will you do ?
Feel very depressed.

18. What’s on your mind? 
Whatever happens by. I try to stay in the moment.

19. Have you ever had auditory hallucinations?
Probably, though not since I gave up the bad drugs.

20. Does "Your fear itself of death removes the fear" (John Milton)?
I have no particular fear of dying. I’m just more interested in living through the time I have left.


Nick Kent (au fond à gauche), Mick Taylor et Keith Richards en face et Mick Jagger sur la banquette derrière eux.


Lire aussi les interview de Nick Kent : Le Survivant Du Rock, Nick, Laurence & Rock'nRoll et l'hommage de Nick Kent à Lester Bangs : Pills and thrills. Ecouter l'interview de Nick Kent et Laurence Romance sur France Inter.



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Les réponses de Nick Kent,
traduites par Laurence Romance

1. Premiers souvenirs musicaux ?
Mon père écoutant ses disques de Debussy, quand j’étais bébé.

2. Le meilleur disque qu’on vous ait offert ? Le pire ? 
Le meilleur ? With The Beatles, qu’une de mes tantes m’a offert pour mes 11 ans. Le pire ? Il y en a tellement…

3. Le 1er livre que vous ayez perdu  ?
Je ne me souviens vraiment pas.

4. « - Poète ? il demande. Comment vous appelez vous ? - Dylan Thomas » je dis. (1)
 Et vous, Nick, quel est votre nom ? 
Nicholas Benedict Kent – pour le meilleur et pour le pire.

5. Qui a changé votre vie ?
Mes parents, T.S. Eliot, James Joyce, Nik Cohn, les Rolling Stones, les Stooges et beaucoup d’autres.

6. La « culture jeunes », primordiale dans les 60’s, conserve-t-elle une quelconque pertinence de nos jours ? 
Je n’en sais trop rien, vu que j’ai 61 ans. Mais James, mon fils de 20 ans, qui baigne dedans et y apporte sa contribution (comme musicien sous l’alias Perturbator, NDLR), me donne l’impression qu’il s’y passe toujours des trucs intéressants.

7. A quoi ressemblera la musique dans 50 ans/5000 ans ? 
Rien que d’y penser, ça fait peur.

8. Avoir échangé sa couronne de King du Punk pour celle de King de la Pub a-t-il rendu Iggy Pop plus punk que jamais ? 
Non. Mais beaucoup plus riche.

9. Vous avez demandé à Lester Bangs de vous apprendre à écrire. Quel conseil vous a-t-il donné que vous pourriez maintenant nous transmettre ? 
Comme sujets d’écriture, les losers sont plus intéressants que les winners.

10. Un disque qui vous fait flipper ? 
Qui me fout les jetons ? “In Germany Before the War” de Randy Newman.

11.  Peu après votre arrivée à Paris en 1989, vous avez participé à la scène house/techno/rave émergente, en enregistrant notamment deux morceaux avec votre compagne Laurence Romance et des DJ italiens et anglais (2). Quels sont vos meilleurs souvenirs de cette époque : le sexe, la drogue ou la musique ?
La scène acid house parisienne de la fin 80's/début 90's était géniale, l'une des plus excitantes auxquelles il m'a été donné de participer. C'était comme le Londres psychédélique de 1967 avec des clubs comme l'U.F.O. et le Middle Earth, sauf qu'en lieu et place des groupes live et des hallucinogènes, il y avait des synthés pré-enregistrés et du MDMA. Et, oui, Laurence et moi avons même commis quelques enregistrements acid-house, dont deux figurent sur des compilations sorties à l'époque. Evidemment, les meilleures années ont été les premières, avant que la mauvaise 'techno' et les drogues pourries ne viennent saboter l'ambiance idyllique.

12. Un film qui  vous a inspiré ?
La Horde sauvage de Sam Peckinpah,  a pas mal influencé ma façon de raconter une histoire. Beaucoup d’action, mais les personnages sont profonds, tout comme le message du film.

13. Pissed Jeans, le groupe de Sub Pop, invente-t-il une nouvelle musique ?
Jamais entendu parler.

14. Un titre peu connu que tout le monde devrait avoir entendu ? 
Holy River” de Space Opera (1973)

15. Un album que vous ne voudriez surtout pas être ? 
Le Berlin de Lou Reed, le Sandinista des Clash et aucun de Sham 69.

16. Vous avez beaucoup écrit sur les 70’s et déclaré que les 80’s ne vous intéressaient pas, mais qu’en revanche, vous pourriez très bien écrire sur les 90’s. A quels groupes pensiez vous en disant ça ? 
Jeff Buckley, Bjork, Beck, Kurt Cobain, Rufus Wainwright et Radiohead auraient fait parler d’eux dans les 60’s, les 70’s ou les 80’s.

17. “Imaginez que vous vous réveillez demain, et que la musique n’existe plus. Il n’y a plus aucun instrument, aucune trace d’enregistrement sur terre. » Que ferez vous ? 
Je vais me sentir très déprimé.

18. A quoi pensez vous ? 
Ce qui me passe par la tête. J’essaie de vivre le moment présent.

19. Vous avez déjà eu des hallucinations auditives ? 
Sans doute, mais pas depuis que j’ai arrêté les drogues frelatées.

20. Est-ce que, comme pour l’immortel John Milton “Your fear itself of death removes the fear »?
Je n’ai pas spécialement peur de mourir. Vivre ce qui me reste à vivre m’intéresse davantage.


Nick Kent (en chemise à pois) et Laurence Romance (de dos) lors d'une rave party parisienne en 1990.


(1) Charles Bukowski - South of No North / Au sud de nulle part
(2) Sous les alias : Spectral Evidence - Out there et Euphoria - Virtual Reality

Portrait de Nick Kent ©UlfAndersen

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